Première partie : “So, how much does a one-cent paper clip cost you?”
C’est la rentrée ? Parlons papeterie… J’ai trouvé excellente il y a
quelques années cette accroche publicitaire, en pleine page de l’hebdomadaire
“The Economist”, pour un grand précurseur de la “Purchasing Card.” N’illustre-t-elle
pas à merveille l’importance parfois extrême des coûts cachés entre prix
facturé et coût total d’achat. Au programme aujourd’hui : Définition,
Problématique et Vertus du TotalCost of Ownership. Rendez-vous le 15 septembre
prochain sur le Blog de la Relation BtoB pour tirer les leçons des obstacles à
l’utilisation de ce concept.
Connue depuis des temps anciens, la notion de “Total Cost of Ownership”
(qui pourrait remonter à Naopléon, dit-on), aurait été formalisée aux
Etats-Unis par le cabinet de conseil en informatique GARTNER dans les années
1980 pour déterminer le coût total d’achat et de déploiement des ordinateurs. Ce
concept, généralement traduit en français par l’inesthétique expression “Coût
Total de Possession”, semble bien connu dans de nombreux milieux d’affaires,
tant côté clients que côté fournisseurs, et également fort bien justifié par
nombre de consultants et chercheurs. Or son application réelle en entreprise,
hormis dans quelques secteurs où il a été systématisé (informatique, location
de véhicules longue durée), et malgré la progression indéniable des “achats
durables”, se heurte à de nombreux obstacles d’ordres multiples, parfois très
puissants, qui en rendent l’application souvent impossible. Voeux pieux ?
Langue de bois ? Voyage au pays des résistances à une approche qui n’a au
départ que d’excellentes intentions…, avec la contribution de participants de
l’Executive Master in International Purchasing Management de l’ESSEC.
Définition du Total Cost of Ownership
D’après Lisa Ellram, experte de ce concept, côté achats, dans les années
1990, le TCO est “une expression utilisée pour décrire tous les coûts associés
à l’acquisition, l’utilisation et la maintenance d’un bien ou service”
(National Association of Purchasing Management”, 1993). Selon cette approche,
les nombreux composants de ce coût apparaissent de manière séquentielle : séquences
pré-transactionnelle, transactionnelle et post transactionnelle, comme illustré
ci-dessous (Fig. 1). Notons que le prix facturé ne représente ici qu’une
partie plus ou moins limitée du coût transactionnel.
Figure 1 – Séquence des
éléments constitutifs du “Total Cost of Ownership”
Pas étonnant ainsi que les concepts de “Life Cycle Cost” (Coût du Cycle de
Vie) et de TCO se rejoignent, bien que n’ayant pas la même origine historique
(le concept de LCC tiendrait son origine de l’armée américaine…). Notons que si
les coûts de pré-transaction, qui renvoient à la notion de sourcing, sont
primordiaux pour les acheteurs, ils sont parfois sous-estimés, voire ignorés
par les fournisseurs, à leurs propres dépens, dans leurs approches commerciales.
Il faut dire que la notion de TCO est beaucoup plus discutée dans la
littérature achats, où elle apparaît largement comme un outil de mesure de la
performance des founisseurs. Or la même approche est aussi un formidable outil
de différenciation pour les fournisseurs. Encore faut-il que les clients soient
receptifs à cette approche, ce qui est bien loin d’être généralisé, d’où la
question centrale posée ici.
Monsieur Floor ou la problématique de l’application du TCO
Monsieur Floor, responsable d’un site industriel, utilise des produits
détergents pour nettoyer ses sols et installations. Il vient de recevoir une
offre à 3,00 euros le litre pour Top, un produit liquide à diluer. Il a reçu
hier une autre offre à 2,50 euros le litre (même type de contenant) pour
“Clean” un produit utilisant le même principe actif avec le même taux de
dilution. Aucune différence technique tangible apparente entre les deux
solutions, n’est-ce pas ? Monsieur Floor s’apprête donc en toute rationnalité à
recommander en interne le produit à 2,50 euros le litre… lorsque l’acheteur
responsable de cette famille d’achat, qui connaît bien ces références, l’interpelle.
Il fait remarquer au responsable de site qu’à la différence du produit à 3,00
euros le litre, le produit le moins cher est un produit moussant, qui va donc
occasionner un surcoût en consommation d’eau de rincage et en temps de
nettoyage, qui pourrait bien aboutir à un coût total de nettoyage (TCO) supérieur.
Trouvera-t-il des données suffisamment fiables pour le prouver rapidement ? En
mal d’autorité dans l’enteprise, Monsieur Floor n’a-t-il pas d’autres raisons
de choisir la solution Clean. Il se trovue qu’il a développé des relations
amicales avec le fournisseur de Clean qui d’ailleurs le lui rend bien… Enfin,
ironie du sort, il ne le sait pas encore mais un programme de réduction des
coût est concocté par la Direction Générale pour juguler les effets de la
concurrence internationale ! Ce scénario simpliste et stylisé illustre le
dilemme entre l’application d’une approche considérée comme vertueuse et les
résistances qu’elle rencontre sur le terrain…
Les vertus de l’approche TCO
Avant d’évoquer les vertus de cette approche, considérons-la ici pour ce
qu’elle est, avec ses limites. D’abord, le TCO reste une métrique économique. Par
conséquent, il ne peut prendre en compte les aspects purement qualitatifs d’une
prestation (qualité de service, qualité relationnelle, etc.), qui doivent être
traités et évalués en parallèle. Par ailleurs, son implémentation suppose un
vrai changement de culture, avec des investissements et une forte implication
de toute l’entreprise, au-delà du service Achats sensu stricto. Ceci est d’autant plus impliquant qu’il n’y a pas de
modèle universel de calcul de TCO, même si des tentatives de modèle de calcul automatisé
ont été proposées (par exemple le “Total Cost of Ownership Estimator”, logiciel
d’aide au calcul du TCO développé aux Etats-Unis dans le cadre de la “Reshoring
Initiative” destinée à limiter l’exportation des activités industrielles) : les
modèles varient largement d’une entreprise à une autre en fonction des secteurs
d’application, et même souvent au sein d’une même entreprise selon les types
d’achats.
Détachons-nous à présent de la perspective achat souvent première sur
l’approche TCO, et déplaçons notre regard au centre de la relation Client
Fournisseur. Apparaissent alors trois types de bénéfices qui, ensemble,
montrent les vertus de cette approche : bénéfices pour l’entreprise cliente,
bénéfices pour le fournisseur, et bénéfices mutuels.
Bénéfices pour l’entreprise cliente
- Approche plus précise et complète de la valeur acquise, et meilleure vision des compromis à faire, que ce soit dans le domaine technique (Valeur d’Usage), sur les processus (Supply Chain Management) ou lors de la négociation des conditions tarifaires. A ce titre, comme dans l’exemple “paperclip” cité plus haut, les études montrent que le coût total engendré par un achat peut être largement multiple du “coût facial” (prix facturé).
- Meilleur potentiel d’évaluation des offres des différents fournisseurs en concurrence : excellent outil de benchmarking ;
- Compréhension profonde de la nature des coûts permettant de développer dans la durée une base de données interne, pilotée par le Contrôle de Gestion.
Bénéfices pour le fournisseur
- Pression vertueuse tendant à promouvoir le meilleur ratio Qualité/Prix à moyen terme (et non pas le prix facturé le plus bas), et ainsi à fidéliser le client ;
- Possibilité de pratiquer une véritable politique de “Value Pricing” établissant le prix facturé en fonction d’une perception de la valeur au plus près de la réalité par le client.
Bénéfices mutuels
- Compréhension mutuelle accrue par un travail (idéalement en commun) sur les processus clients mis en jeu avec l’acquisition des biens ou services du fournisseur ;
- Communication plus riche et profonde, tant en interne chez les protagonistes qu’entre les deux entreprises, sur les nombreux changements mis en jeu ;
- Potentiel de co-création décuplé par cette meilleure communication, conduisant à une meilleure fidélisation et tous les avantages associés, notamment le renforcement de la compréhension mutuelle (boucle vertueuse).
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