« Lui,
c’est Monsieur BEST. Il est directeur de sa propre société, la BEST Company. Presque
500 véhicules et cinq bases en Europe… Depuis plusieurs années, Monsieur
BEST ne parvient pas à endiguer un problème majeur : la consommation de
carburant de ses véhicules... »
Ainsi commence ce documentaire vidéo d’un peu plus de deux minutes publié dès 2013 par MICHELIN SOLUTIONS. La filiale du groupe MICHELIN y présente EFFIFUEL, une offre innovante
destinée à de grandes flottes de véhicules européennes. Sa caractéristique ?
L’application de l’Economie de Fonctionnalité à la vente de pneumatiques,
activité autrefois principalement industrielle qui devient ainsi un service
complexe et complet intégrant les conseils d’optimisation pour ses clients. Bien
que datant déjà de plus de deux ans, cette expérience est remarquable à deux
titres :
- d’une part, la congruence entre la
mission du groupe MICHELIN et la solution EFFIFUEL et
- d’autre part, une orientation
Comptes Clés présentée comme incontournable dans l’organisation et l’animation
de ce type d’offre BtoB.
Comment l’initiative EFFIFUEL conduit-elle naturellement
à l’approche Comptes Clés ? Exploration en quatre temps :
- d’abord, un point sur l’Economie
de Fonctionnalité ;
- ensuite la caractérisation de la mission du groupe
MICHELIN ;
- puis l’alignement d’EFFIFUEL avec la mission
de MICHELIN ;
- enfin le caractère incontournable de l’approche Comptes Clés
dans ce contexte.
L’Economie
de Fonctionnalité
L’Economie de Fonctionnalité (ou économie de
la fonctionnalité) consiste à remplacer la vente d’un bien matériel par la
vente des services qu’il rend, cette vente constituant le plus souvent une
« rente » durable pour le fournisseur et libérant le client usager
des soucis liés à l’obsolescence du bien en question. Identifiée dès les années
1980 comme un principe alternatif au modèle de consommation effrénée issu des
« trente glorieuses », elle n’est plus aujourd’hui une fiction :
elle est utilisée en entreprise, et on lui reconnaît bien des avantages, côté Client
comme côté Fournisseur. En s’opposant au modèle abusif - et très justement
décrié à mon sens - de l’obsolescence programmée, elle permet notamment de
s’accommoder de la hausse tendancielle des prix de l’énergie et des matières
premières, de réduire considérablement les émissions de gaz à effets de serre,
et de "réconcilier responsabilité écologique et responsabilité sociétale avec la réussite économique". Plusieurs cas de
réussites ont été cités en ce domaine. Celui de XEROX, choisissant dès avant
les années 1990 de passer de la vente de photocopieurs à la location de ses
équipements en est sans doute l’exemple emblématique. Le cas de NORDAQ, qui
propose des systèmes de sur-filtration de l’eau de consommation dans les
restaurants pour remplacer l’acheminement coûteux des bouteilles d’eau est un
autre exemple de réussite. Enfin, le développement du modèle SAAS (Software As
A Service) en substitution de la vente de licence dans le domaine des
technologies de l’information en est une application qui parle à beaucoup.
Mission
du groupe MICHELIN : le service aux clients
Avant de s’engager dans la poursuite d’objectifs
stratégiques, toute organisation doit s’interroger sur sa Mission qui, avec ses
Valeurs, constitue son Identité. Il y a là un enjeu vital, comme le rappelait dès
1993 le professeur et consultant Peter Drucker avec cette citation : « la
plus importante source de frustration et d’échecs dans les entreprises est due
à l’insuffisance de la réflexion sur leurs missions ». La mission de l’entreprise,
c’est l’affirmation de sa « raison d‘être », de son « pourquoi
j’existe », qui justifie à la fois tous les efforts demandés et le choix
de ceux à qui ils sont offerts… Sur ce dernier point, plusieurs options coexistent. Par exemple, Campbell et Yeung montrent dans une étude réalisée en
1991 que certaines entreprises disent exister pour leurs actionnaires, d’autres
pour plusieurs groupes d’intérêts incluant leurs actionnaires mais aussi leurs
clients et leurs salariés. Dans un troisième cas, ils identifient des entreprises
visant un but supérieur, une mission « morale » durable qui, en quelque sorte,
contribuera à « changer le monde »… Parmi ces points de vue, deux conceptions peuvent
s’opposer : la cause Financière qui met en avant l’enrichissement des actionnaires,
et la cause Client (ou orientation service), qui cherche avant tout à répondre aux
attentes de ceux-ci. Certes, l’une est par nature subordonnée à l’autre (il faut
« vendre de la valeur » aux clients pour pouvoir l’extraire et finalement
la redistribuer aux actionnaires), de sorte que la cause financière est souvent
explicitement dominante. Toutefois il est des cultures d’entreprises qui
continuent à privilégier ouvertement la cause client. C’est le cas de MICHELIN,
qui le manifeste dans l’énoncé de sa mission :
« Depuis
la création de l’entreprise, la mission de MICHELIN est de contribuer au
progrès de la mobilité des biens et des personnes et, au-delà, au développement
de la société. Notre but ultime est de satisfaire les besoins humains
fondamentaux de relation, d’échange et de découverte. MICHELIN s’engage à
conduire ses activités, sous tous leurs aspects, d’une manière responsable.
Cela suppose d’offrir des solutions de plus en plus efficientes pour réaliser
les aspirations de ses clients et actionnaires. Cela passe par le respect de
l’environnement tout en effectuant des opérations économiquement pertinentes1. » (site du groupe MICHELIN, 2015)
EFFIFUEL :
congruence avec la mission de MICHELIN
Le secteur des transports européen, avec un niveau
d’activité en baisse constante depuis plusieurs années, est désespérément en
quête de rentabilité. Le carburant y est très souvent le premier poste de
dépenses (parts du budget de près de 30% en Europe Occidentale et 40% en Europe
Centrale) et, qui plus est, une augmentation de l’ordre de 3 à 4% par an est attendue
pour les prochaines années. Dans ces circonstances, il a été montré qu’une
économie de carburant réaliste de 2,5 litres / 100 kilomètres pour une
entreprise réalisant un Résultat Net de 2% se traduirait par un doublement de
ce résultat !
Portant justement sur des objectifs d’économie
de carburant, l’offre EFFIFUEL apporte vraiment des solutions inédites aux transporteurs.
Pour chaque client candidat, sur la base d’un diagnostic initial, un contrat
fixe les moyens à déployer par MICHELIN SOLUTIONS, qui peuvent inclure :
- une formation des chauffeurs à
l’éco-conduite
- la mise à disposition d’experts «
Fuel Analysts » spécialisés dans le recueil et l’analyse des données de
consommation
- l’installation de boîtiers
télématiques donnant de la visibilité en continu aux transporteurs
- l’externalisation du poste
pneumatiques, basée sur un prix au kilomètre.
Les contrats sont de trois ans et les gains
générés par la solution mise en place sont partagés. Le Chief
Marketing Officer de MICHELIN SOLUTIONS explique : « il ne s‘agit pas de
se substituer au gestionnaire de flotte, mais bien de lui donner les outils, la
visibilité et les conseils pour optimiser son activité, et de nous impliquer
avec lui ».
L’orientation
« Service Client » évoquée ici résulte d’une évolution progressive dont les
prémices remontent au début du XXe siècle (Young 2008). Dès les années
1920, les ingénieurs MICHELIN français cherchent à faire des tests techniques
auprès de leurs clients industriels pour évaluer les performances techniques
des pneumatiques afin de les améliorer. Devant la réticence de certains
clients qui perçoivent la chose comme une forme d’intrusion, des contrats sont
développés au cas par cas, proposant le paiement d’une redevance mensuelle
contre la propriété du pneumatique par le fournisseur. Le même système se
développe peu à peu au Royaume Uni pour les entreprises de bus. Dans les années
1990, les dirigeants du groupe y voient un nouveau modèle économique permettant
de développer les relations avec leurs clients entreprises... sans compter que
le pneu est un produit qui risque la « commodification » et qui, de surcroît,
est largement concerné par le débat sur le Développement Durable. La décision
est prise en 1999 d’officialiser cette orientation sous le nom de « MICHELIN
FLEET SOLUTIONS ».
Les bénéfices pour les clients ciblés sont clairs :
- Coût d’usage. Diminution de la
consommation de carburant par le suivi technique (pression des pneus, etc.) et
sélection de pneus adaptés aux usages.
- Simplification administrative et financière. Régulation du
CashFlow, transfert de certaines tâches administratives au fournisseur.
- Sécurité. Diminution des
accidents et pannes grâce au suivi technique et à l’anticipation des problèmes.
- Contrôle et optimisation. Offre de
benchmarking avec d’autres acteurs similaires (offre de service payant à
partir de la base de données maîtrisée par le fournisseur).
Les
bénéfices pour le fournisseur le sont tout autant :
- Prix. Maintien d’une offre « Premium ».
- Proximité client. Développement de
relations de proximité avec les clients, autorisant une meilleure compréhension
de leurs problématiques.
- Base de données. Développement d’une
très riche base de données sur les comportements des produits en situations
d’usage, constituant une sérieuse barrière à l’entrée de concurrents
potentiels.
- Fidélité. Accroissement de la
fidélité des clients, d’une part par la perception d’une performance accrue, et
d’autre part par la complexification et l’intensification de la relation avec
eux.
Une approche Comptes Clés incontournable
Cette
aventure collective, au plus près des clients concernés, est bien celle de
l’engagement de MICHELIN dans le modèle de l’« économie de fonctionnalité ». Ce qui est remarquable ici, c’est le
constat explicite de l’entreprise sur la nécessité de l’approche Comptes Clés dans
ce contexte d’orientation client :
« Aujourd’hui, outre la présence mondiale
de l’entreprise et son expérience dans la gestion de flottes, l’engagement
contractuel que propose MICHELIN SOLUTIONS est possible grâce à :
- Un écosystème d’experts qui lui permet de
développer « une plateforme de solutions unique, connectée, mondiale, pour
mieux servir ses clients » ;
- Des expert Key Account Managers qui, avec des
opérateurs et auditeurs de flottes, des équipes « Business Support » ainsi que
le « Solution Center » de MICHELIN SOLUTIONS forment, aux côtés du client, un
partenariat au quotidien. »
Nous avons montré ici comment le Management
des Comptes Clés apparaît comme une réponse logique à une mission d’entreprise
orientée vers ses clients, considérés comme entités prioritaires parmi ses ayant-droit.
Sur la base du document vidéo de MICHELIN SOLUTIONS, l'argumentation de ce billet est adaptée du deuxième
chapitre de l’ouvrage de l'auteur, publié en 2015 aux Editions KAWA : “Key
Account Manager, Vendeur ou Chef d’Orchestre ?”